La communication visuelle avec Nicolas Malinowsky

 


NICOLAS MALINOWSKY est un directeur artistique multi-disciplinaire qui oeuvre pour des clients DANS L’UNIVERS DU SKATE (DC SHOES, NIKE SB, FILM TRUCKS, TITUS, LE PSSFF…), L’UNIVERS DE LA MUSIQUE (SOUND PELLEGRINO, ED BANGER…), ou PLUS GÉNÉRALISTES (netflix, CARHARTT, DARTY, LA GAITÉ LYRIQUE…). PROFESSEUR INTERVENANT À SHIFTY, SKATEUR émérite, NICOLAS NOUS PARLE DE SA MÉTHODE D’ENSEIGNEMENT, DE SES INFLUENCES ET DU RÔLE DE SES PASSIONS AU SERVICE DE SON MÉTIER.

S : Qu'est ce que tu as donné comme exercice à faire à nos étudiants ?

N : Les étudiants partaient d'un niveau déjà un peu inégal parce qu'il y en avait certains qui savaient déjà se débrouiller avec la suite Créative et d'autres qui partaient de zéro. Donc les premières séances ont été un peu difficiles pour tout le monde, un peu l'équivalent d'un premier jour de snowboard. On voit la théorie, mais pour y arriver, c'est quand même super compliqué de mettre les mains dans tous ces logiciels en même temps. Et assez rapidement, j'ai donné comme exercice de reproduire une pub de Enjoi en partant de la marque qu'ils avaient créée eux (nom et logo). Ce qui est intéressant avec une pub Enjoi, c'est que les ingrédients sont très clairs, à savoir de l'Helvetica Bold, un fond de couleur orange mais potentiellement bleu aussi et un détourage photo. Le but du jeu étant de faire une blague. Donc c'est une recette qui est quand même assez accessible et qui permet rapidement de toucher un peu à Photoshop et illustrator pour créer sa petite idée et le résultat a été génial. Ils étaient super contents. C'est gratifiant pour un étudiant qui touche à un logiciel depuis quelques semaines de se rendre compte qu'il est capable de faire une pub crédible qui pourrait sortir dans un mag telle quelle.

S : Comment tu les évalues ? C'est quoi les critères pour toi ? Qu'est ce que tu attendais d'eux ?

N : Mon exigence, c'était qu'ils comprennent la recette. C'est à dire qu'il faut utiliser Helvetica Bold en minuscule. Si tu mets une typo Univers en majuscule, c'est déjà plus une pub Enjoi. Ça se voit au premier coup d'œil. Et pour la plupart ils ont très bien réussi à respecter le truc de manière plus ou moins harmonieuse, plus ou moins drôle, etc... Mais pour ceux qui avaient un ingrédient qui était défaillant, ce qui est intéressant, c'est que tout le monde se rendait compte immédiatement que ça ne fonctionnait pas. Ils devaient identifier les raisons. Ça permet aussi de montrer l'importance d'une culture graphique et d'observer précisément la manière dont sont faites les choses.

S : Ils apprennent à détourer aussi comme ça ?

N : Apprendre à détourer ça a a été le premier exercice de Photoshop. C'était "fais un collage digital incluant une girafe dedans et fais toi plaisir !". Essayer de faire un truc stylé était quand même le précepte de base de tout exercice.

S : Qu'est ce que tu remarques des étudiants Shifty par rapport aux autres étudiants que tu peux avoir ? Si tu devais les comparer ?

N : Oui, c'est la passion pour quelque chose, en l'occurrence la passion pour le skate qui permet d'avoir une espèce d'enthousiasme très fort pour la matière et que je ne retrouve pas dans d'autres cours que je peux donner à une école de design "classique" où j'ai des étudiants d'un peu tout horizon. Je vais peut être avoir un ou deux étudiants qui ont cette espèce de niaque, cet enthousiasme pour essayer justement de faire quelque chose de trop stylé. C’est souvent quelque chose qui veut tout et rien dire mais qui pour les skateurs veut dire quelque chose. Et en l'occurrence dans une classe de skateurs, quand je leur dis : “essayez de faire un truc trop stylé”, ils comprennent tout de suite. Dans une classe "normale" je vais entendre : "Monsieur, ça veut dire quoi stylé ?".

C'est le skate qui regroupe les Shifty mais si tu appliques cette passion à la découverte de l'art, du graphisme, de la typo, à quoi que ce soit, ça marche de la même manière. Et moi c'est mon parcours.

S : Eh bien oui, est-ce que tu y vois aussi un parallèle dans ton métier ? Qu'est ce que le skate t'a permis de développer ou qu'est ce que tu appliques de cette passion dans ton métier aujourd'hui ?

N : Je pense que déjà avant le skate j'étais passionné de vélo. Ça m'a mis dans un état d'esprit où j'étais à fond, à beaucoup regardé ce qui concernait le vélo. Ensuite c'est à travers le skate que j'ai découvert la musique et l'art on va dire. Et par la suite, je pense que je me suis passionné de la même manière pour tout. C'est à dire que dès que je trouvais quelque chose de nouveau et d’intéressant, j'étais tout à fait capable de plonger dedans de la manière dont j'avais plongé dans le vélo, le skate, le design, la musique, etc... En ce moment, c'est le piano. Ben voilà, je fais à fond du piano. J'en fais tous les jours. Et donc je pense qu'il y a une faculté de concentration qui est intéressante dans le skate. Quand on passe deux heures à essayer un truc, à être complètement focus dessus et à vraiment faire le vide dans sa tête de tout ce qui existe, je pense qu'il y a une histoire de concentration qu'on peut dupliquer sur tout. Et c'est le cas dans mon métier. Quand je passe deux heures à bosser sur la mise en page d'un poster je ne pense à rien d'autre. Je suis là en train d'essayer de chercher, d'améliorer jusqu'au moment où j'estime que j'ai trouvé quelque chose dont je suis vraiment satisfait. Après j'en reviens à la notion de style, en termes de chorégraphie, c'est vraiment quelque chose qui m'intéresse dans le skate, le mouvement. Par extension j'applique ça à tous les autres domaines, que ce soit le visuel, le graphisme, la peinture, le dessin ou la musique. Cette notion de style, elle est toujours omniprésente dans ce que j'essaie de faire. C'est quelque chose qui est un peu subjectif mais qui est un espèce d'équilibre à trouver. Où tu te satisfais de ce que tu as fait, de la manière dont tu l'as fait.

S : Qui sont tes clients en général ?

N : Je travaille plutôt pour des marques, parfois pour des agences quand c'est des gros projets. Mais globalement ça va être soit des marques qui sont proches de mon univers, dans le skate, le surf, la musique, la mode voire le luxe et un peu l'institutionnel pour des musées. Je fais de l'identité graphique, de la création de logos, des projets spécifiques print ou digitaux digitaux. Je fais beaucoup de travaux pour des festivals. Typiquement l'identité globale d'un festival, incluant plus ou moins des objets, des installations de signalétique, de la scénographie et de l'habillage musique spécifique pour des films de mode, d'animation, ou des publicités, etc. La musique je la fais de la même manière parce que c'est vraiment du design musical avec la même sensibilité.

S: Avec avec qui tu travailles en général ? Qui sont tes interlocuteurs sur les projets ?

N : Pour des marques, souvent des chargés de communication qui vont faire le lien avec les responsables de projet ou les patrons de marques. Il n'y a pas toujours d'intermédiaire.

S : Qu'est ce qu'il faut selon toi comme compétences particulières pour faire ce que tu fais.

N : En tant que designer indépendant je pense qu'il faut de la confiance en soi parce que sinon on peut vite se noyer dans un verre d'eau. J'ai l'impression que plus j'ai d'expérience, plus j'ai quand même confiance en moi dans certains domaines et plus j'arrive à identifier les domaines où je suis peut être un peu moins bon. Auquel cas je sais que je connais les domaines où j'ai moins confiance en moi, où j'ai pu avoir tendance à déléguer ou à demander un avis extérieur. Après je dirais quand même l'ouverture d'esprit et la curiosité parce que c'est quand même vraiment intéressant de bien s'adapter au client et à chaque nouveau projet. C'est l'occasion de découvrir un nouvel univers quand c'est justement des clients ou des marques qui ne sont pas forcément proches de ta culture. C'est l'occasion de plonger dedans et de découvrir des nouvelles choses. Cette année avec Pierre (Dixsaut), intervenant aussi à Shifty, on a travaillé pour deux géants : Brut et Netflix. On a appris énormément de choses concernant la diffusion de contenus à grand public sur toutes les plateformes digitales, etc. Où je me considérais avant plutôt comme consommateur, à pas forcément m'intéresser visuellement à toutes les ficelles. Et après deux ans de travail pour des projets comme ça, on est beaucoup plus au fait de tous les codes de ces médias. C'est ça qui est intéressant aussi entant qu’indépendant, c'est de pouvoir avoir des projets très différents et de continuer à explorer et apprendre de nouvelles choses.

S : Est-ce qu'il y'a une campagne ou une marque que tu trouves vraiment intéressante récemment ?

N : Globalement toutes les campagnes de communication de Palace sont géniales parce qu'elles arrivent à mêler un truc hyper pro, hyper bien fini, léché musicalement, avec de l'humour. Même en étant super gros maintenant avec beaucoup d'argent, ils gardent cette espèce de pointe d'humour anglais typique.

Et sinon au niveau de la D.A. Quasi me parle beaucoup. Autant au niveau des produits mais surtout la manière dont ils vont présenter les produits sur les réseaux et sur leur site. En l'occurrence des photos d'ambiance. C'est très proche des photos de mon ami Grégoire Grange.

S : Est-ce important pour toi l'ouverture en dehors de l'univers du skate ? Dans quelle proportion ça t'a nourri dans ta créa ? Y compris quand tu devais faire des projets autour du skate ?

N : Ah oui je pense que l'ouverture tout azimut est très importante. Au niveau de mon inspiration, je préfère largement être inspiré par quelque chose qui n'a absolument rien à voir. Je trouve ça beaucoup plus intéressant d'aller chercher quelque chose très loin pour le ramener dans un autre univers plutôt que de copier le voisin. Après, il y a des tendances générales qu'il faut connaître et qu'on ne peut pas ignorer. Quand je parle de graphisme, il y a de la mode graphique bien évidemment, et une tendance. Il faut suivre parce qu'il faut être au courant de ce qui se passe, mais pour autant, on n'est pas obligé d'y coller à 100 % au premier degré, sinon on est juste un clown. Mais par contre, ce qui est intéressant, c'est en décodant justement, en analysant le présent, c'est à dire la mode créative, être capable d'avoir une proposition qui soit en adéquation ou en opposition à ça pour pouvoir la justifier aussi. C'est à dire qu'on ne peut pas tout faire. Je pense que ça n’est pas très constructif de faire n'importe quoi et d'ignorer le reste du monde autour de soi. C'est pas très efficace, mais par contre de se dire "voilà, il y a cette tendance, moi je me positionne un petit peu à côté, peut-être pour être le prochain truc, ou peut être pour faire du second degré par rapport à ce qui se passe actuellement". Et là, ça devient intéressant d'avoir une position d'outsider.

S : Il y a un artiste ou un projet qui t'a marqué ?

N : Un artiste pas du tout actuel qui m'a énormément inspiré et qui continue de m'inspirer énormément c'est Carl Andre. Avant que j'en connaisse beaucoup de lui, je me disais que j'aimerais bien faire pareil mais qu'il faut pas que je fasse pareil. Donc je vais faire un peu différemment, mais c'était quand même fortement inspiré. Et parfois je pensais avoir une idée géniale et après je regardais Carl Andre et je me rendais compte qu'il avait déjà fait 1000 fois mieux. J'ai bon ok, mais je vais quand même le faire parce que comme dit Artus (de Lavilléon) "ce n'est pas parce que ça a déjà été fait qu'il ne faut pas le refaire". Parce que l'histoire de l'art c'est ça, c'est que des gens qui sont inspirés par quelqu'un qui le refont à leur manière et on tourne comme ça, donc faut pas avoir de complexe. Après on fait rien sinon. De toute façon tout existe. Si je regarde Carl Andre, je pense qu'on a vraiment une partie du cerveau qui doit être pareil au niveau de la sensibilité parce que je me sens particulièrement touché par son travail.

Nicolas Malinowsky est sur Instagram : @nicolasmalinowsky

Ses travaux sont à découvrir sur son site et son instagram @atelier_malinowsky

 
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